Pourquoi signer une toile est si difficile ?
C’est une question que je me suis posée et que peut-être vous vous posez également ou que d’autres autour de vous se sont posée. Signer, revendiquer une oeuvre d’art, qu’est-ce que cela implique. Est-ce facile, donné, ou susceptible de mettre mal à l’aise et dans ce cas, pourquoi ? Quels sont les ressorts en mouvement ? Je me suis lancée dans cette introspection car je me suis rendue compte que j’avais toujours les mêmes réticences. Voici quelques réflexions très personnelles sur ce sujet. Je suis très impatiente de connaître les vôtres et de faire avancer ce sujet avec vous.
Lorsque je crée, je construis mon projet dans ma tête pendant un temps qui correspond à la place que ce sujet revêt dans ma vie et dans mon évolution. Le projet peut ou non être concrétisé par une mise en forme sur la toile. Il me semble qu’il y a comme une urgence parfois à aller au bout de cette concrétisation, quitte à oublier tout ce qu’il y a autour. Mais la plupart du temps, la mise en forme n’a pas lieu. L’évolution est acquise et le projet ne voit jamais le jour.
Si le projet persiste malgré tout, c’est que le construction est fiable, qu’il est important de transmettre ce qui a été intégré en quelque chose d’esthétique qui pourra créer une émotion chez quelqu’un d’autre. Il peut s’agir d’un projet tout à fait personnel, mais c’est souvent plutôt l’agrégation de photos d’images d’ambiance qui s’allient entre elles et ont un sens. En réalité. L’esquisse se suffit souvent à elle-même ou le dessin en noir et blanc, sans le passage à la couleur. Je me suis d’ailleurs longtempsvolontiers arrêtée à ce niveau d’expression qui me semblait suffire, peut-être par souci de temps ou par contrainte de lieu comme par exemple en voyage ou sur les sites archéologiques. Le croquis restait alors dans mon carnet et il était rare alors que le dessin donne naissance à un tableau. Même si, bien sûr, il y a eu des exceptions.
Un projet pour moi doit être mené d’une seule traite pour être cohérent, et pour que je garde ma cohérence, celle qui a fallu pour avoir envie de ce tableau à ce moment précis. J’ai du mal à tolérer les interruptions que représentent les commandes lorsque j’ai commencé un grand tableau, sauf si sa réalisation me pose problème. C’est alors un divertissement bienvenu. C’est un avantage en un sens car la réalisation des toiles ne traîne pas, mais c’est aussi un inconvénient car je peux rester bloquée lorsqu’une toile devient plus difficile. J’ai discuté avec un peintre habitué à réaliser plusieurs toiles dans le même temps et le revendiquant. Lui s’étonnait que je puisse me concentrer sur un seul projet !
Cette rigueur de temps, je l’ai aussi vis à vis de la technique. Je peux reprendre plusieurs fois un aplat sur une surface, même très grande parce que la nuance ou le dégradé ne me conviennent pas, il faut alors que je m’isole et qu’on ne m’interrompe pas, ce qui, en travaillant chez soi, est une véritable gageure.
Depuis peu, sans doute sous l’influence des réseaux sociaux, j’ai pris l’habitude de prendre des photos et des vidéos montrant l’évolution d’un tableau afin de publier des stories et je trouve cet exercice très intéressant. Je vous en reparlerai dans un autre article. Dès lors je me rends compte que le facteur temps est essentiel car il matérialise l’état dans lequel je suis, et qui nécessite la réalisation du tableau. État qui nécessairement va changer, car il est éphémère par essence.
Il me semble que c’est la raison pour laquelle, lorsque j’arrive à la délivrance, mot qui s’impose aussi dans l’accouchement d’une création, je n’ai plus forcément envie ou besoin d’apposer mon nom sur la toile. Il me semble que je ne suis déjà plus la même et que je pense déjà au prochain projet. L’œuvre ne m’appartient déjà plus. J’ai envie de la partager, de la donner à voir aux autres et si possible qu’elle fasse du bien, qu’elle leur permette d’exprimer des émotions qui seront peut-être aux antipodes de celles qui m’ont amené à la mettre au jour. Il m’est arrivé très souvent de donner une toile à son acheteur ou de me rendre chez lui avec elle et de me rendre compte que la toile n’était pas signée parce que on me le faisait remarquer. Il n’y avait pas que des inconvénients puisqu’il fallait revenir. Évidemment, il m’arrive plus souvent d’envoyer les toiles quand elles sont achetées sur mon site en ligne, et c’est très souvent au moment de l’emballer que je réalise qu’il manque ma signature, il me faut alors prendre le temps de choisir l’endroit où la poser la couleur et attendre qu’elle sèche avant de terminer le précieux colis.
Je me pose alors toujours cette question que je viens d’effleurer avec vous : qu’est-ce qui motive le fait de ne pas avoir ce besoin cette envie de laisser son nom ? Je suis pourtant fière des œuvres réalisées, mais je considère qu’elles appartiennent déjà à ceux qui me feront l’honneur de les choisir. Et ce qui compte c’est l’échange qu’aura provoqué cette vente. Car il se passe indéniablement quelque chose entre la personne qui choisit une œuvre et le créateur de celle-ci. Il est amusant que ce soit l’acheteur qui rappelle que le nom n’a pas été apposé et le fasse revenir. De là à dire que c'est un acte manqué pour pouvoir se revoir, il n’y a qu’un pas !
Enfin, il y a peut-être matière à creuser dans la nature de la signature elle-même. Si c’est un signe qui permet de noter le nom du peintre, de s’en souvenir, de ne pas l’oublier, comme les noms des défunts sur les stèles, il me semble aussi que sa nature, calligraphie, majuscules et date selon les auteurs, la rend illisible, voire, enlaidit une partie du tableau. C'est aussi sans doute l'un de mes freins.
Ce sont des hypothèses, somme toute fondées sur une expérience personnelle propre à chaque auteur et amenées. À évoluer. Je serais curieuse de connaître ce qui, chez vous, peintre, sculpteur, écrivain est susceptible de vous bloquer ou au contraire vous rend fier dans le fait de signer votre création.
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